Ils l’appellent Nounours.
Je le vois presque tous les soirs où je vais à l’entraînement de squash, soit en moyenne deux fois par semaine.
Il s’occupe d’une association de natation, je crois (il me faut vous expliquer qu’à Issoudun, les courts de squash sont dans la même enceinte que la piscine (trois bassins et deux toboggans) et le bowling (6 pistes)).
Tout le monde le salue (« Salut, Nounours ») mais personne ne parle jamais vraiment avec lui. Il est assis sur son tabouret, à la table bistrot, des papiers étalés devant lui. Il a souvent un stylo à la main et l’air concentré. Je ne sais pas quel âge il peut bien avoir. Entre 45 et 60 ans. Il est gros. Très gros. Et assez petit. Il a une moustache et des lunettes. Quand il se déplace, il se dandine, comme beaucoup de petits gros aux jambes courtes. Je ne crois pas (je peux me tromper) que Nounours ait une vie sociale et sentimentale très épanouie. Mais il s’occupe d’une association de natation, écrivant au tableau blanc, d’une belle écriture enfantine, les horaires d’entraînement, les convocations aux compétitions, les résultats desdites compétitions.
Il est presque toujours seul mais parfois, deux ou trois personnes s’assoient avec lui autour de la table bistrot, pendant que je m’efforce de faire de belles parallèles bien longues avec un geste de coup droit académique (le corps immobile, épaules face au mur latéral, poignet ferme, raquette levée, rien ne bouge au moment de l’impact (la balle au niveau du genou) sauf le bras). Sûrement les autres membres de l’association de natation. Dans ces cas-là, il parle peu. Il écoute. Et il écrit.
Il arrive que des ados portant des sacs d’où émergent des palmes le saluent (« Salut Nounours ! »). Il leur répond de sa voix douce. Il n’essaie pas de dialoguer avec eux – il doit savoir que c’est perdu d’avance, que les lolitas en jean taille basse le voient à peine, que les boutonneux aux cheveux raides de gel n’ont rien à partager avec lui (et bien plus avec les lolitas gloussantes (or un ours (à plus forte raison un nounours) ne glousse pas)). Alors Nounours replonge le nez dans ses papiers, organisant pour ces frétillants indifférents des compétitions, des plannings d’entraînement, lui qui ne doit plus se mettre en maillot de bain depuis longtemps, s’il l’a jamais fait (je serais étonné qu’on m’apprenne que Nounours a été champion du Berry de 100 mètres nage libre (même s’il ne faut pas se fier aux apparences (les probabilités, ça existe, l’instinct aussi (et si je croise les deux, je peux être raisonnablement affirmatif : Nounours n’a jamais fait les J.O.)))).
Il s’appelle Nounours et il m’émeut, comme m’émeut rétrospectivement Pierrick, qui s’occupait des équipes de jeunes de l’US Clohars-Carnoët. Il nous emmenait aux matches, à Rédéné, Arzano ou Quimperlé. Il écrivait les convocations à la main et les affichait sur la place de la mairie, sur le panneau en bois, le jeudi pour le dimanche suivant. Et nous on se foutait de sa gueule en douce parce qu’il était vieux (il devait avoir 35 ans…) et habitait toujours chez sa mère, parce qu’on ne le voyait jamais avec une femme, parce qu’il était trop nul pour jouer en équipe première, parce qu’il était gentiment idiot, il faut bien le dire. Mais il était là à tous les entraînements ; il était là tous les dimanches, passant chercher ceux qui ne s’étaient pas réveillés après la cuite de la veille ; il récupérait tous les maillots après les matches et les rapportait propres la semaine suivante. Désolé Pierrick.
Je me demande si Jean-François Copé, au hasard (pas tout à fait (je le hais)), a jamais fait du bénévolat. Ou encadré une sortie d’enfants de l’école au musée ou dans la forêt. C’est chouette, le bénévolat. L’exact opposé de cette affreuse maxime : « Le temps, c’est de l’argent ». Pas Nounours ou Pierrick qui auraient inventé une phrase pareille. Pourtant, le monde a plus besoin d’eux que de Jean-François Copé, me dis-je parfois en tapant une parallèle, conscient de la présence de Nounours, juste là, derrière la vitre du court (les courts de squash sont vitrés (j’explique pour les béotiens)), absorbé par ses tâches administratives (en général, je rate mon coup quand je pense trop fort à Copé).
Il s’appelle Nounours, je le salue en arrivant au squash, je le salue en repartant, mais je ne lui ai jamais vraiment parlé.
Et si j’étais aussi con que Copé, finalement ?