N’y a-t-il que moi (depuis que j’ai écrit « le roman des années 2000 » je note chez moi une tendance soulignée à la mégalomanie) que le retour de Bertrand Cantat sur scène mette profondément mal à l’aise ?
Dieu sait que je l’ai aimé, ce groupe, et que j’ai admiré Bertrand Cantat, ce pendant une quinzaine d’années tout de même, depuis l’achat en 1987 de leur premier vinyle 6 titres (Où veux-tu qu’je r’garde ?) chez ma petite disquaire de Quimperlé… Car NwarDez n’a fait que se bonifier jusqu’à 666.667 Club, album parfait.
Ce soir de 1994 où, après un concert de Shoulders à Bordeaux (dont j’étais tour-manager à l’époque), je vis débarquer Cantat sur le côté de la scène, qui me demanda s’il pouvait aller féliciter le groupe en loges, je crus m’évanouir comme une vulgaire groupie enamourée. Je n’en laissai rien paraître et jouai le mec sûr de lui et distant, comme il se doit dans le milieu rock indé.
Je ne sais même plus de quoi nous parlâmes pendant une demie-heure dans les loges en buvant du mauvais vin (Denis Barthe était là aussi ; il faisait des blagues relous)…
Bref, ensuite vint le drame, sur lequel je n’ai aucune envie de m’étendre, ce n’est pas le propos. Considérons que je suis un bon citoyen, qui respecte les décisions de justice.
Oui, le retour sur scène de Bertrand Cantat me met mal à l’aise. Déjà parce qu’il est sournois, par la bande, en scred mais pas trop, un truc pas franc du collier. Eût-il déboulé avec Noir Désir dans un concert, ou avec un album, uniquement centré sur sa perception du drame (bordel, ça doit en faire un paquet de sentiments et de sensations quand un truc pareil t’arrive !), peut-être n’aurais-je pas eu la même réaction.
Quoi que…
Parce que je pense viscéralement, profondément, que Bertrand Cantat, et ça coûte à un ex-admirateur d’écrire cela, devrait s’interdire d’avoir désormais une vie publique ; surtout une vie de rock star.
Par respect pour celle qui fut sa compagne, pour la famille de celle-ci, pour toutes les femmes battues du monde.
Marie Trintignant est morte, et c’est lui qui l’a tuée.
Comment peut-il décemment remonter sur scène, s’offrir à la bruyante adoration des foules? Va-t-il chanter « et tous nos points communs dans les dents » (Les Ecorchés) ? Et, accessoirement, en retirer de copieux bénéfices financiers?
Ça ne vous choque pas?
Et si c’était Marie Trintignant qui avait tué Bertrand Cantat ? Croyez-vous que les journalistes à courte vue et les fans tellement transis qu’ils ne réfléchissent plus eussent accueilli le retour d’icelle au théâtre ou à l’écran avec le même engouement ? La même avidité ?
« Ah mais Cantat, il a payé sa dette à la société », me répondra-t-on. Nous sommes d’accord. Cela empêche-t-il toutefois d’avoir de la dignité – celle de faire profil bas ? Ce n’est pas parce que nos dirigeants politiques et nos capitaines d’industrie ne sont pas exemplaires que Bertrand Cantat, qui ne s’est pas privé de donner des leçons en interview et dans ses chansons (et tant mieux !), doit leur emboîter le pas.
Car c’est là un argument de poids en faveur de la privatisation définitive de Bertrand Cantat : quand on a fauté aussi lourdement alors qu’on a autant prétendu moraliser, on ne peut que se faire tout petit, même une fois sa peine tirée.
Cela m’amène à la conclusion que soit Bertrand Cantat est dépourvu de ces belles valeurs qu’il mettait si bien en musique (faites ce que je dis, pas ce que je fais), et c’est décevant, soit il passe outre parce que son ego est trop fort, et c’est décevant.
J’aurais espéré un soupçon d’élégance, un poil de classe, de la décence, le silence…
Les profits immédiats… Les faveurs des médias… Les petits rois de pacotille tiennent quand même à leur trône, on dirait. On n’est décidément pas du même monde, camarade Bertrand, et ta planète n’est pas jolie-jolie. Et je te jure que ça me fait mal parce que j’ai l’admiration difficile.
Putain, ça à l’air vraiment dur d’être un héros. Même les plus sombres ont besoin de la lumière on dirait…